mardi 26 avril 2011

Andrew Bird - Armchair Apocrypha ou "Comment vous plonger au plus profond des méandres de l'âme humaine"


Il apparait comme évident de nos jours que l’industrie agro-alimentaro-musicale n’est plus ce qu’elle était autrefois, à savoir une industrie qui nous faisait rêver en nous vendant ce qui était à la fois un produit ET de l’art. Ce n’est plus vraiment le cas avec les daubes sous vide à réchauffer au micro-onde qu’on nous sert aujourd’hui dans les rayons joliment achalandés de nos Virgin, Fnac et autres Super U locaux. Alors oui, vous me direz, à l’époque, on n’était pas à l’abri d’un message subliminal ou deux, voire pour les plus chanceux, d’un mauvais trip sous acide, mais c’était quand même autre chose que la soupe soporifique ou hypnotique à laquelle on a droit sur les ondes des radios libres de France et d’ailleurs. Fort heureusement, un groupe de rebelles résiste encore, cloitrés dans quelques labels indépendants qui osent encore laisser leurs artistes s’exprimer. Nul besoin de potion magique quelconque ou de stratégie marketing massive, ces gens-là répandent leur son à la manière des anciens, à savoir en tournant sur le globe et en jouant leur musique à leur audience. Parmi ceux-ci, il en est un qui roule sa bosse depuis maintenant près de 13 ans et qui, au fil des ans, a su devenir un des meilleurs, sinon LE meilleur performeur live du moment. C’est d’ailleurs lors d’une de ses représentations que j’ai découvert le bonhomme, dans une petite salle du sud de la France où il a envouté l’ensemble de son auditoire, à savoir les quelques 70 personnes présentes ce soir -là. Deux ans plus tard,  c’est avec joie que j’apprenais qu’il remplissait l’Olympia dans la tournée promouvant son Armchair Apocrypha dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. C’est donc après le succès de The Mysterious Production Of Eggs et avec cet Armchair Apocrypha sorti moins de 2 ans plus tard, que Bird à continuer d’accroître son succès public et d’asseoir un succès critique acquis depuis longtemps, mais venons-en au fait…


L’album démarre fort et nous plonge sans même qu’on ait eu le temps d’évaluer la température de l’eau, dans ce son si spécifique, électrique, résonant, quasi glauque, qui teinte la quasi-totalité de l’album. C’est sur "Fiery Crash" que s’ouvre  cet album. Le morceau monte en puissance petit à petit. L’apparition des violons et des boucles se fait attendre mais ces derniers arrivent finalement sous la forme de loops inversés. On s’aperçoit vite que l’homme oiseau a décidé de pousser ses expérimentations et de nous amener plus loin encore que là où il nous avait laissé la dernière fois.  La rythmique guitare est directe tout au long de la piste, proche de ce qu’Andrew nous montre lors de ses performances live. On est dans quelque chose de plus brut, moins bien défini et de résolument plus sombre, en atteste la voix douce mais grave qu’il prend sur ce titre. Qu’on se le dise, cet album est une excursion sous-marino-humaine, elle s’apprête donc nous plonger dans ce qu’il y a de plus sombre dans l’âme humaine. En atteste la piste suivante, "Imitosis", reprise de son "Capital I", traitant de cette fameuse cruauté dont sont capables nos adorables bambins. D’un air désabusé, Andrew continue de nous conter la noirceur moite de l’esprit humain. On retrouve enfin les boucles de violon en pizzicato auxquelles l’animal nous a habitués. La formule est efficace, pas le meilleur travail de Bird cependant. On note au passage les progrès faits depuis la version précédente en ce qui concerne la production et la finesse des arrangements, une finesse infinie sur laquelle on reviendra plus tard. Ceci dit, on pourra peut-être reprocher le manque de folie côté batterie du nouveau compère de l’homme orchestre en la personne de Martin Dosh, batteur/savant fou qui pour le coup, ne nous montre pas vraiment l’étendue de son talent.


Vient ensuite "Plasticities", un pur morceau birdien. On est rapidement envouté par les arpèges qui s’enchainent et les sifflements lointains supplantés de la voix douce et légère d’Andrew. Ce titre est la première éclaircie d’Armchair Apocrypha. On est cependant toujours dans la même approche du son que précédemment, avec un son de guitare lourd, proche de celui qu’il arbore lors de ses concerts, des arpèges lointains et des sifflements encore plus éloignés. Le tout est soutenu par des lignes de basses faites sur des Rhodes. Bref, un son vraiment particulier, qui nous donne une impression de profondeur quasi effrayante, le sentiment de se tenir au bord d’un gouffre sans fin dans lequel on ne sait pas bien si on va sauter pour découvrir ce qu’il y a au fond ou rester là et se poser la question à jamais…


Le morceau suivant semble un peu incohérent. "Heretics" défraie un peu la chronique. Alors bien sûr, on retrouve la même logique au niveau du son, une batterie syncopée au son lointain, mais on a tout de même  l’impression que tout ça ne s’assemble pas au mieux pour être honnête. Le tout est un peu bateau et manque légèrement de folie selon moi.

On en arrive ensuite au titre phare. On entend au loin des violons geindre tels des esprits errants avant que la guitare ne vienne calmer ce chaos. Un thème est introduit par un piano au son étrange, presque dérangeant. Puis Bird vient doucement poser sa voix sur ces murmures de violons en détresse inquiétants, morbides. On se prend à suivre Andrew en se demandant où il veut bien nous emmener. Brouillant les pistes, ne suivant jamais vraiment une logique mélodique, ce morceau est en quelque sorte une lente progression jusqu’à l’explosion calme du refrain, telle une vague s’écrasant calmement mais sûrement sur quelque digue avant que tout ne se calme et ne reparte une fois de plus sur quelque chose de différent. Alors pour être sincère,  on est un peu perdu. En dehors de ce son si spécifique présent tout au long de l’opus, il est difficile de trouver une logique, un sens de lecture, à cet "Armchair Apocrypha". On a l’impression d’être immergé dans les méandres d’un rêve profond, incohérent et pourtant logique, trimballé de part en part dans les tréfonds de l’imagination débordante de l’artiste nous plongeant dans le  chaos de nos émotions.

Tout cela laisse place à une explosion revigorante avec "Dark Matter". Là encore, le son et la structure de la chanson reste dans la lignée de ce qu’on a vu jusqu’à présent. Toutefois, l’atmosphère y est beaucoup plus fraiche et positive. On aborde ici une remonté fulgurante et bienfaitrice. On sent que Bird a pris confiance en lui depuis le succès de ses albums précédents, il se lâche et se fait plaisir dans des chansons telles que celle-ci.
On a ensuite droit a un réel aperçu de ce dont est capable Martin Dosh (le batteur donc, pour ceux qui ont du mal à suivre) avec cette composition signée par les deux oiseaux rares. On reste dans la remonté entamée par Dark Matter sur cette rythmique robotique étrange à laquelle se mêle la voix chaude et touchante d’un Bird qui n’a pas peur de s’aventurer dans les aigus. 

La remonté fulgurante dont je faisais état juste avant, là, il y a quelques lignes, est stoppée net par l’interlude "Supine" et le "Cataracts". Beau, tout simplement. Ce morceau détone auprès des autres par le retour en grâce de la guitare acoustique qui avait fait le succès de l’homme orchestre auparavant, et les violons moins lointains qui du coup donnent à cette ballade un caractère moins dramatique que ce à quoi nous avions eu droit jusqu’à présent. Tout cela annonce le surprenant "Scythian Empires" où se trouvent conservée la guitare acoustique et résolument abandonnés les violons lointains et la réverbération accentuée. Le morceau est une véritable bouffée d’air frais après tout ce que nous a fait traverser notre hôte. Il est pour moi l’un des meilleurs morceaux de l’album (à écouter en live aussi). Bird s’est clairement fait plaisir en évoquant un sujet peu banal, les Scythes, un peuple d’Ukraine parmi les premiers à avoir dressé des chevaux, sujet qui le passionnait au lycée. 


"Spare-Ohs", la dernière chanson de l’opus Armchair Apocrypha, est une fois encore assez simple et positive. Elle est sans grand intérêt mais reste très agréable à écouter. On pourra notamment se laisser distraire par les harmonies à deux voix rappelant le Weather Systems du même Andrew Bird, ou par certaines nuances bien pensées avant d’entendre le doux chant des oiseaux annonçant la fin de l’album, ces mêmes oiseaux présents sur la pochette ou dans le nom de l’artiste qui introduisent un "Yawny At The Apocalypse" apaisant et ironique (de par son titre), un rayon de lumière nous réchauffant après cette traversée éprouvante des marécages de l’âme humaine.

Voilà qui clôt Armchair Apocrypha qui, sans être la meilleure œuvre de Bird, aura au moins le mérite de nous faire réfléchir et de nous changer, car on ne ressort pas de son/ses écoute/s en étant exactement la même personne. Voilà qui, de nos jours, n’est plus chose commune et qui mérite d’être salué.


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