Au cours des nombreuses pérégrinations musicales auxquelles j’ai eu l’extatique bonheur de participer, aux milieux de personnalités aussi diverses que variées, j’ai souvent vu ces mêmes personnes s’opposer des genres musicaux dans des débats aussi creux que ce qu’ils étaient engagés. Ainsi, les fans de jazz méprisent les gens écoutant de la musique populaire tout comme les amoureux de classiques les méprisent tous autant qu’ils sont. Malgré quelques surprises (un fan de métal s’amusant à faire de l’électro minimaliste ou de la folk psychédélique à ses heures perdues), force est de constater que tous les univers musicaux sont opposés par les esprits forgés à coup du bulldozer des fines lames ayant inventé le marketing tribal. Le cœur meurtrit à la vue de personnes que j’affectionne dénigrant les uns ou les autres sous prétexte qu’ils ne sont pas du même bord, je me mis donc en quête d’une solution. Se pouvait-il qu’il existe un genre de musique qui permettrait de voir un jour un fan de Paul Kalkbrenner tenir la main d’un amoureux de Coltrane, ou de voir une personne ayant l’habitude de pleurer sur du Nick Drake prendre dans ses bras un fan de David du Ghetto ? Bizarrement, ma quête d’une telle harmonie fut brève. Il existe en effet un genre musical capable de ravir les amoureux de classique et ceux qui veulent danser. J’ai d’ailleurs assisté à ce moment d’harmonie dans l’un des théâtres les plus beau et pieux de la musique classique.
Alors qu’il est effectivement peu commun de voir la foule guindée du
Royal Albert Hall de Londres se dresser sur ses pâtes arrière et danser, j’ai ainsi vu le miracle se produire. Il faut comprendre que c’est d’une salle au combien mythique d’où s’échappent régulièrement les notes d’une symphonie égarée à laquelle seuls quelques nantis embourgeoisés ont le privilège et les moyens d’assister, le postérieur vissé dans les fauteuils calfatés de velours sombre et doux. Et lorsque ceux-ci s’y rendent, ils prennent bien garde de garder les fesses bien serrées afin que le ballet qui se loge dans leur for intérieur depuis des lustres ne s’en échappe pas. Le plus beau dans tout ça, c’est que, ce soir là, les personnes sur scène faisant danser les nantis comme jamais, étaient quelques années auparavant de pauvres gens, méconnus et abandonnés à leur triste sort, qui étaient tout simplement heureux d’être enfin là où ils devaient être.