lundi 7 novembre 2011

Buena Vista Social Club - Buena Vista Social Club ou "Comment des papis font plus que résister"


Au cours des nombreuses pérégrinations musicales auxquelles j’ai eu l’extatique bonheur de participer, aux milieux de personnalités aussi diverses que variées, j’ai souvent vu ces mêmes personnes s’opposer des genres musicaux dans des débats aussi creux que ce qu’ils étaient engagés. Ainsi, les fans de jazz méprisent les gens écoutant de la musique populaire tout comme les amoureux de classiques les méprisent tous autant qu’ils sont. Malgré quelques surprises (un fan de métal s’amusant à faire de l’électro minimaliste ou de la folk psychédélique à ses heures perdues), force est de constater que tous les univers musicaux sont opposés par les esprits forgés à coup du bulldozer des  fines lames ayant inventé le marketing tribal. Le cœur meurtrit à la vue de personnes que j’affectionne dénigrant les uns ou les autres sous prétexte qu’ils ne sont pas du même bord, je me mis donc en quête d’une solution. Se pouvait-il qu’il existe un genre de musique qui permettrait de voir un jour un fan de Paul Kalkbrenner tenir la main d’un amoureux de Coltrane, ou de voir une personne ayant l’habitude de pleurer sur du Nick Drake prendre dans ses bras un fan de David du Ghetto ? Bizarrement, ma quête d’une telle harmonie fut brève. Il existe en effet un genre musical capable de ravir les amoureux de classique et ceux qui veulent danser. J’ai d’ailleurs assisté à ce moment d’harmonie dans l’un des théâtres les plus beau et pieux de la musique classique.

Alors qu’il est effectivement peu commun de voir la foule guindée du Royal Albert Hall de Londres se dresser sur ses pâtes arrière et danser, j’ai ainsi vu le miracle se produire. Il faut comprendre que c’est d’une salle au combien mythique d’où s’échappent régulièrement  les notes d’une symphonie égarée à laquelle seuls quelques nantis embourgeoisés  ont le privilège et les moyens d’assister, le postérieur vissé dans les fauteuils calfatés de velours sombre et doux. Et lorsque ceux-ci s’y rendent, ils prennent bien garde de garder les fesses bien serrées afin que le ballet qui se loge dans leur for intérieur depuis des lustres ne s’en échappe pas. Le plus beau dans tout ça, c’est que, ce soir là, les personnes sur scène faisant danser les nantis comme jamais, étaient quelques années auparavant de pauvres gens, méconnus et abandonnés à leur triste sort, qui étaient tout simplement heureux d’être enfin là où ils devaient être.

Cette musique, c’est la musique cubaine et ces gens sont ceux du Buena Vista Social Club. C’est selon moi, la plus belle musique qui soit. Elle mêle pêle-mêle des influences classiques, jazz, latine, caribéennes et des émotions sans communes mesure capables de vous faire ressentir une mélancolie profonde tout en vous donnant envie de remuer votre postérieur comme si l’enfer tout entier s’y agrippait. Les responsables du retour en force de cette musique sont quelques papis grabataires, morts pour certains, qui forment ou formaient autrefois le Buena Vista Social Club.


Dés les premières notes de "Chan Chan", le rythme se niche dans le creux de nos reins et les tres, ces guitares cubaines au son si particulier, se chargent de nous transporter dans un pays où les vents marins salés se mélangent à une chaleur lourde aux odeurs boisées de gros cigares. Puis ces voix s’emparent de notre âme pour la retourner complètement. En quelques instants, quelques notes, ces vieillards sur leur 31 nous ont transmis toute l’expérience acquise au court de vies hors du commun sans que ce fût déplaisant ou même triste. C’est là tout le paradoxe ! Comment une musique si profonde peut-elle être aussi légère ? "De Camino A La Vereda" prend ensuite place sur une rythmique et une basse chaloupées. Là encore, il est difficile d’y résister et la suite rend les choses bien plus compliquées. "El Cuarto De Tula" est tout simplement un monument de la musique cubaine. Tout y est ! Ce rythme incroyable bien sûr, ces voix envoutantes mais aussi ces cuivres perçants capables de vous déchirer le cœur en quelques notes bien placées. Le tout est hypnotique. Rien ne semble vraiment changer et pourtant aucune note, aucun rythme ne se répète complètement. Puis soudainement une voix sort de l’ombre. On y reviendra plus tard, mais l’une des deux voix principales n’est autre que celle du grand Ibrahim Ferrer. Puis c’est le tres qui prend le relai et là nous voilà embarqués dans une chevauché infernale dont personne ne reviendra indemne.  Les notes claquent à une vitesse vertigineuse et les mélodies qu’elles chantent semblent séculaires, comme si cette musique avait toujours été au fond de nous. "Pueblo Nuevo" est une petite démonstration de la virtuosité pianistique traditionnelle cubaine. Je ne saurais énumérer les innombrables génies pianistiques (Bebo et Chucho Valdez par exemple) qui peuplent le paysage musical cubain et je ne saurais que trop fortement vous recommander la vu du magnifique Chico & Rita pour commencer : muchos bueno !


Il faut savoir que cet album ne comprend aucun déchet. Il s’y cache un bijou à chaque coin de rue et il apparait plus opportun d’essayer d’en comparer la valeur en se basant sur les morceaux précédents plutôt que sur toute musique qui ne figurerait pas sur cet enregistrement. Et en parlant de joyau, il en est un qui brille (brillait, j’en ai peur…) bien plus que les autres. Après la trompette criarde et moribonde qui pleure l’introduction de "Dos Gardenias", LA voix retentit, seule cette fois. L’émotion qui s’en échappe et palpable et douce comme rien d’autre. Ibrahim Ferrer, un petit vieux proche des 80 ans, fut retrouvé dans un appartement modeste de La Havane, vivant avec sa femme dans la misère la plus sobre. Il fut présenté au producteur ayant eu l’idée de géni de réunir ces anciens talents de la musique populaire cubaine. La claque violente qu’il asséna à toutes les personnes présentes dans le studio est à la hauteur de ce titre. Lorsque ce vieillard banal se met à chanter, il semble que plus rien n’existe vraiment à part lui. Il est beau, il est majestueux, il porte la classe comme elle se portait dans les années 50 et il semble que le temps s’est arrêté pour lui. Je n’ai malheureusement pas eu le bonheur de voir des mes yeux voir le mythe, l’homme qui a vu l’homme qui a vu la bête. Ibrahim s’est éteint en 2005 après avoir vécu 6 ans de gloire bien mérités pour une quarantaine d’années vécues dans l’oubli.


Mais trêve de lamentation ! "Y Tù Qué Has Hecho ?" se charge de remettre de la joie et du soleil dans nos sourires. Je dis « remettre », parce que même si ces chants sont gorgés d’une tristesse et d’une mélancolie lourde, rien n’est jamais larmoyant ou pénible. Au contraire, c’est une émotion douce et apaisante qui s’empare de nous lorsque nous sont comptés de tristes déboires amoureux, vieux de plus de 50 ans. Et il est par conséquent, difficile d’effacer un sourire léger des lèvres de l’auditeur ému.  Résister au rythme langoureux de "Y Tù Que Has Hecho ?" serait un crime. On se laisse tranquillement bercé par ce son, transporté dans un monde où tout est plus simple et plus beau. Ces hommes ont une moyenne d’âge de 80 ans et il serait idiot de ne pas les imiter, eux qui semblent si apaisés et tranquilles. "Veinte Anos" nous replonge dans une douce mélancolie. La voix féminine et suave d’Omara Portuondo nous susurre des mots d’une douceur irrésistible nous enveloppant le cœur dans un drap cousu de nostalgie et d’étés oubliés. Tout ça pour repartir de plus belle avec "El Carretero", morceau dans la plus pure tradition cubaine. Les voix des vieillards, ces tres et ce rythme fou vous transporte littéralement au milieu de l’histoire contée ici. Les sentiments ne sont pas feints ici. On prend tout ça dans la gueule et ça fait un bien fou, une bonne tranche d’authenticité qui nous remet à notre place. En effet, ce disque et ces artistes forcent le respect. Tout en eux est admirable et la force de leur musique est là pour le confirmer. "Candella" ne nous laisse aucune chance et s’empresse d’en rajouter une couche. Cette musique est d’une force sensationnelle. Ibrahim Ferrer chante ici avec toutes ses tripes. Le feu est mis aux poudres et l’orchestre suit avec une force contrôlée remarquable, le tout magnifiquement produit par Ry Cooder, celui qui a eu l’idée folle de réunir toutes ces personnes. Ce rythme endiablé mettrait en transe n’importe quel adolescent lymphatique laissant son cerveau fondre à feu doux devant les émissions culturelles proposées par la première chaîne…

On retrouve Compay « le fumeur de Havane » Segundo sur le morceau suivant. Il faut savoir que ce surnom est un peu banal dans la mesure où fumer le cigare est une chose que tous les artistes présents dans cet enregistrement font depuis qu’ils ont des dents de lait. L’intensité baisse d’un cran, et dans un élan de tranquillité, on repart sur les rythmes léchés et légers de la romance qu’est cet "Amor De La Loca Juventud". Nous restons en compagnie de Compay sur le Orgullecida qui suit. On sent à nouveau toute l’expérience du séducteur Segundo. Ce gars là a du en embobiner plus d’une avec son regard malicieux et sa voix éraillé, grave et douce comme une brise d’été. "Murmullo" reste dans le même esprit et nous berce doucement vers la fin de l’aventure cubaine. On retrouve un Ibrahim Ferrer enamouré, plus léger. Il n’y a plus qu’à se laisser porter vers le titre phare, un solo de piano perçant et une dernière ballade, "La Bayamesa", réunissant les vieux comparses que sont Ferrer et Segundo.

L’escale à Cuba se termine ainsi. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, sachez qu’il vous reste à voir le film de la production de cet album. Et si vous voulez allez encore plus loin, le Buena Vista Social Club tourne régulièrement dans le monde, affaiblit par les morts de Ferrer et Segundo entre autre. Faites vite : les joyaux de cette qualité se font hélas de plus en plus rare…
J

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