lundi 5 décembre 2011

Serge Gainsbourg - Love On The Beat ou "Comment faire un dernier bras d'honneur avant de sortir par la grande porte"


Aussi loin que je remonte dans le catalogue de mes haines, les années 80 constituent probablement l’une des choses qui m’horripilent le plus, musicalement parlant. Mais il y a pire ! Il y a les années 80, en France ! Ce fut l’âge d’or des Indochine ou autres Téléphone qui se prenaient (se prennent encore) pour des vedettes et des âmes sensibles incomprises, vouées à cracher leur mépris dans le premier micro venu et à faire mourir l’âme en peine des auditeurs trop jeunes pour comprendre qu’on leur vomit une merde sans nom dans les oreilles. Car oui mes chers compatriotes, je ne veux pas faire mon Jean-Pierre Coffe, mais "Bob Morane dans la vallée infernale", c’est de la merde. Faire une liste exhaustive serait un combat perdu d’avance contre la nausée qui me prend à la simple pensée de ce son synthétique, de cette réverbération exagérée et de ces voix de décervelés jouvenceaux. Les années 80 marquent pour moi, l’arrêt de l’évolution humaine en termes de renouveau musical. Jusque là, même si la musique allait en se simplifiant, on avait encore des artistes extraordinaires, capables de masses de travail considérables pour arriver à faire quelque chose de correct. Désormais, il est possible de ne rien savoir faire et de n’avoir rien à dire pour être produit et vendu en masse. Les années 80 marquent la fin d’une ère foisonnante. La musique s’en remet seulement aujourd’hui, près de 30 ans plus tard mais on est encore loin de l’abondance et de la richesse musicale qui semblaient pérennes dans les 70s ou avant.

Alors avec tout cela, vous allez me dire, pourquoi ai-je choisi de vous parler aujourd’hui d’un album produit durant cette période noire de la musique moderne, et cela en France ? Tout d’abord, dire qu’il n’y a eu que de la merde à partir de 1980 serait inconsidéré. D’abord, il y a aussi eu des choses seulement mauvaises, mais n’oublions pas que les artistes qui sévissaient en 1970 ne sont pas subitement morts le 31 décembre 1979… Parmi ceux-là, Serge Gainsbourg n’allait pas tarder à réaliser que cette époque n’avait plus rien à lui offrir mais il ne nous quitterait pas sans larguer une dernière petite bombe dont il avait le secret.


Un coup sec et amplifié d’une réverbération synthétique et froide claque sauvagement dans l’air jusque là silencieux. Puis une basse livide et métallique commence à grouiller tandis qu’il semblerait que Jane se fasse sauvagement tringler derrière tout ça. Elle crie comme une damnée. Le tout résonne étrangement puis une guitare clinquante et des synthés livides viennent suinter leurs marasmes dégoutant dans un tout maintenant cataclysmique et pourtant sauvagement magnifique. Alors on aime ou on n’aime pas, il n’est pas question là de faire dans la demi-mesure. On est dans l’excès outrageux auquel Serge nous a habitués depuis quelques temps maintenant. Puis, les chœurs s’élancent, aussi macabres et froids qu’une marche funéraire en janvier,  et laissent ensuite place au flot d’insanités lubriques déversées par la voix suave et doucereuse de Serge. On est directement emporté par le fleuve grisâtre et sale de ce "Love On The Beat" surréaliste. Un sax railleur viendra même en rajouter une couche le temps d’interludes parsemés de cris de plus en plus oppressants et embarrassants. C’est avec une honte délectable qu’on se laisse pénétrer par la lubricité malsaine d’un Gainsbourg complètement déchaîné. Il convient également de noter tout le génie de l’homme à la tête de chou dans l’agencement, les arrangements et la qualité sonore d’un enregistrement qui puise toute son essence dans les technologies de l’époque.

Si vous n’avez pas vomi à la fin de ce premier titre, duquel on ne ressort pas complètement indemne, marqué à vie par ces cris abominables et ces images verbales d’une rare violence, la suite se fait plus légère. "Sorry Angel" garde les mêmes bases sonores, froides et métalliques mais on retrouve un peu de chaleur dans les guitares plus langoureuses et ces voix tragiques. Toutefois, une fois le conte commencé, on comprend vite qu’on va plonger une nouvelle fois dans la face cachée de l’âme humaine. C’est moite, froid, lugubre et sale. Les images défilent et nous entrainent invariablement vers un gouffre infini. Cette fois, on plonge tout entier dans la culpabilité irrévocable d’un Gainsbourg poignant capable de s’effacer pour ne pas nous oppresser ou nous broyer totalement avec ses mots et sa voix d’outre tombe. Le titre marque un contraste saisissant avec son prédécesseur! "Hmm hmm hmm" semble être tout droit sorti de l’esprit joyeusement saoul d’un Gainsbar en pleine montée alors qu’on a débuté avec les élucubrations lubriques et morbides d’un homme en pleine prise de conscience et descente alcoolisée.

Nous pourrons ensuite noter l’introduction virtuose de "Kiss Me Hardy" ou des rythmes aux sons travaillés à l’extrême ne sont pas sans rappeler une electro qui n'en est alors qu’à ses balbutiements. Des nappes et des voix apocalyptiques résonnent alors. Cette fois, l’ensemble est d’une remarquable douceur. Les paroles, un aveu d’homosexualité à demi regrettée, sont cette fois presque attendrissantes et surprenantes de la part d’un Gainsbourg réputé pour avoir toujours été fous des femmes les plus belles de son temps. Ce dernier reniera plus tard son texte et ses propos étonnants et avouera avoir ainsi voulu faire parler de lui. En attendant, le titre s’efface lentement sur un solo de sax toujours aussi éraillé et c’est ainsi que s’achève la première face de Love On The Beat.


Pour ceux qui croiraient alors que Gainsbourg compte lâcher du lest au fur et à mesure que cet album s’écoule, "No Comment" les fera vite déchanter. Des claquements de doigts secs résonnent et sont suivis d’une basse lourde et bourdonnante ainsi que de voix toujours aussi bien utilisées et nous revoilà replongés dans la lubricité délurée du Gainsbar de "Love On The Beat". Au hasard de deux couplets, une guitare claquante vient nous gifler de quelques notes bluesy du meilleur effet. Le morceau est incroyablement équilibré et nuancé. Un instant, on est asséné par les voix et les mots de Gainsbourg, l’instant d’après les voix se calment et un cours solo de sax ou de guitare nous laisse un peu de répit avant qu’on ne remonte sur le ring et qu’on se face attaquer directement en dessous de la ceinture. Ce titre est encore une fois remarquable mais également incroyablement drôle tout comme la majeure partie de cet album. Il serait en effet hardi de prendre l’intégralité de ces textes au premier degré. Ces sons et ces rythmes sont d’ailleurs grandement responsables d’un second degré sous-jacent mais toujours palpable. "I’m The Boy" repart dans les méandres musicaux des années 80. Les paroles sont là encore incroyables d’humour sordide.


Le titre suivant a clairement été écrit au moment ou la cuite frappait le plus fort au front de Gainsbar. "Harley David Son Of A Bitch" est tout bonnement incroyable. C’est une abomination musicale et littéraire et pourtant c’est un objet unique en son genre. Personnellement, ce titre me rend complètement fou. Ces guitares râpeuses, ces syntés hystériques, ces voix et ce rythme creux sont un bras d’honneur fait à toute œuvre musicale ayant été conçue auparavant (et probablement au "Harley Davidson" qu'il avait lui même écrit pour BB) mais le tout est curieusement rattrapé par les paroles les plus nulles et folles de tous les temps. Comme si deux négatifs faisaient un positif. Je ne sais quoi dire de plus devant ce titre. Je ressens la même chose chaque fois que je l’entends et j’adore ça !

L’album se conclut sur "Lemon Incest" dont le thème déjà évident est largement appuyé par le fait que Serge ait choisi de faire chanter ici sa fille, Charlotte. Alors je vous rassure, malgré tout le respect que j’ai pour l’actrice, la chanteuse n’a fait aucun progrès depuis 1984. Pour moi, l’album termine sur une fausse note. Serge a craqué et est redevenu sentimental là où il avait pourtant craché sa haine et son venin tout au long d’un album musicalement fou.

Malgré cela, Gainsbourg prouve tout au long de cet opus le génie qu’il était et qu’il fut tout au long de sa carrière. Il a apparemment compris avant tout le monde que les années 80 contribueraient à enfoncer les monde vers une déchéance sans nom et, semblant pressentir que la fin était proche pour lui, il s'est retourné et a fait un dernier bras d’honneur à tout le monde en allant au bout de la démarche artistique de l’époque et en en sortant l’un des rares albums, sinon le seul, des 80s qui soit un pur chef d’œuvre. En dépit de l’apparente froideur et du je-m’en-foutisme de l’écriture musicale de ce Love On The Beat, on y décèle une sensibilité incommensurable et une méthodologie dans l’écriture musicale d’une efficacité sans borne. Gainsbourg prouve qu’il fut sans conteste le seul vrai génie musical français de son époque. 

J

1 commentaire:

  1. Juste en passant, critique sympathique à ceci près que c'est Bambou qui hurle sur Love on the beat, pas Jane

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