lundi 16 mai 2011

Fleet Foxes - Helplessness Blues ou "Comment faire de la belle musique tout en faisant un bras d'honneur aux majors"



Dans le triste paysage musical actuel, il est rare et remarquable de voir un disque digne d’intérêt sortir ET être un succès commercial. Pire ! On n’avait plus vu un groupe capable de résister, voire d’humilier une major en refusant de vendre son âme contre de la poussière d’argent et des barreaux de cage depuis un bon moment. C’est pourtant ce qu’ont fait les Fleet Foxes en refusant un contrat avec Virgin et en allant même jusqu’à reconnaître qu’ils doivent sans doute une partie de leur succès (et donc de leur audience) au téléchargement illégal. Mais qui sont donc ces Fleet Foxes, encore inconnus il y a 3 ans, acclamés par la critique et le public aujourd’hui ? Il s’agit d’un groupe de six jeunes hommes en provenance de Seattle,  emmené par un chanteur charismatique et co-fondateur du groupe, Robin Pecknold, et par Skyler Skjelset, lui aussi co-fondateur, guitariste et mandoliniste.

Helplessness Blues est leur deuxième opus et près de 2 ans auront été nécessaires pour accoucher, dans la douleur, de ce petit bijou. Pour en arriver là, il aura en effet fallu plusieurs sessions d’enregistrement étalées sur plus d’un an, traversées et perturbées par des problèmes de santé ainsi que des problèmes personnels. Pourtant, Pecknold indique avoir voulu garder de la spontanéité dans l’enregistrement des chansons en procédant dans des conditions similaires aux performances live et en acceptant du même coup la présence de quelques erreurs. Il partait ainsi dans l’idée de conserver une certaine cohérence sonore. Voyons donc ce qu’il en est.



On attaque sur "Montezuma" et des arpèges lointains à la guitare. Puis la voix fait son entrée avec une réverbe accentuée. On a l’impression d’écouter un chanteur et sa guitare, seuls sur scène. Rapidement des chœurs entrent à leur tour et donnent encore plus de profondeur à l’ensemble. Enfin, la basse et les tambourins se joignent à l’ensemble. On est plongé directement dans ce son distant, comme nous parlant d’une autre époque, mais l’ensemble est étrangement chaud et agréable malgré l’impression d’éloignement et de réverbération accentuée sur les voix et les instruments. Le timbre de voix de Robin Pecknold est tout simplement incroyable. Il donne de la cohérence au son global et emmène brillamment la musique.

"Bedoin Dress" nous entraîne ensuite sur des sentiers familiers, nous rappelant certaines des chansons de Simon & Garfunkel. Le violon vient toutefois marquer la différence avec ses sonorités celtiques ou moyenâgeuses. Les voix et instruments rentrent ensuite, on glisse alors dans une néo folk brillante chaleureuse et surtout….surtout !! sans prétention aucune. Les arrangements sont lumineux, le son est parfait et plein de relief avec les voix lointaines, les guitares plus proches et tout le reste entre les deux. On entend tout distinctement et c’est un vrai bonheur. "Sim Sala Bim" commence aussi par des arpèges, cette fois un peu dissonants, avec là encore des sonorités rappelant le Moyen Age. Cela se confirme rapidement avec l’entrée des tambourins, de la mandoline et des voix harmonisées. On a ensuite droit à la guitare partant seule avant d’exploser en un solo rythmique revigorant, rapidement rejoint par la mandoline et les tambourins. On retrouve petit à petit le calme mais simplement pour repartir sur "Battery  Kinzie", une chanson énergique et simple. On est ici dans quelque chose de plus folk avec un piano martelant la rythmique et une construction mélodique plus simple, on reste cependant sur des chansons recherchées et toujours très agréables de ce côté-là. En écoutant cet album, j’ai été frappé à la fois par la richesse des arrangements et des constructions mélodiques, une richesse qui fait qu’on a envie de réécouter les chansons pour mieux les comprendre. D’un autre côté, on est aussi immédiatement absorbé et on aime cette musique dés la première écoute.


Le calme revient avec "The Plains/ Bitter Dancer". On part sur une musique qui marque le temps, portée par des sonorités presque amérindiennes dues notamment à la présence renouvelée du tambourin. Le thème se développe petit à petit, s’harmonise et grandit. Ces arrangements et sons ne sont pas sans rappeler les compositions du génial Sufjan Stevens que j’ai déjà mentionné auparavant et auquel je m’attaquerai prochainement.  Tout se calme ensuite pour laisser place à la chanson, un thème épuré à plusieurs voix soutenu par des guitares acoustiques. Pour la première fois de l’album, tout cela rappelle étrangement Crosby, Stills and Nash, les pionniers du genre, mais on est fort heureusement loin d’un vulgaire plagiat. La chanson  fait un break, juste avant une nouvelle explosion tranquille assez semblable à celles auxquelles on a eu droit lors des titres précédents. La chanson se termine ainsi, petit à petit, et laisse place au titre phare de l’album.

"Helplessness Blues" démarre sur une rythmique assez rapide à la guitare, rapidement rejointe par la voix. Au refrain, une deuxième voix et une guitare se joignent à l’ensemble. Voilà le morceau lancé. La structure et l’enchaînement sont donc à peu près similaires dans tous les titres de cet album. Le titre phare est une chanson folk entraînante, assez simple avec deux voix, deux guitares et encore une fois, l’explosion finale. Je dis explosion à chaque fois parce que c’est réellement l’impression que donne l’entrée des tambourins, cymbales et du reste de la clique.

De rapides arpèges et un thème à la guitare ensuite harmonisé à la mandoline entament "The Cascades". Le tout est ensuite enrichi des habituels tambourins et autres basses et guitares avant de se calmer et de finir sur un accord nous laissant sur une tension non résolue, comme si une question était posée. La réponse est donnée par l’intermédiaire de la batterie qui introduit "Lorelai". La guitare entre avec un thème répétitif, puis suivent les voix et tous les instruments reprenant et harmonisant le thème avant que la chanson ne démarre. On a ici une jolie chanson pop-folk une fois de plus mais le son est un peu plus brouillon. Toutefois, le groupe se rattrape vite et nous offre ensuite un bijou avec "Someone You’d Admire", une complainte douce mais poignante que la voix de Pecknold habite et survole. On débute dans la simplicité avec guitare-voix rattrapées au refrain par la deuxième guitare et la deuxième voix, une fois de plus. Le thème est tout simplement magnifique et les harmonies le complètent à la perfection.


La suite est assez surprenante puisqu’on a là un aperçu de ce dont Robin Pecknold est réellement capable vocalement parlant, et je dois dire que ce tour de force montre l’étendu du talent du groupe et de son leader. En effet, si les arpèges qui démarrent ce "The Shrine/ An Argument" n’ont rien d’étonnant au départ, on s’aperçoit vite qu’on est dans des sonorités plus blues que ce qu’on a pu entendre jusqu’à présent. Le thème, une fois de plus brillant et complexe, s’étire jusqu’au pont où on a droit a un cri rauque purement blues, avant de repartir sans transition dans quelque chose de doux et lumineux. L’alternance des nuances est entièrement menée par Pecknold qui nous montre donc ce dont il est capable. Après un premier break, on repart sur quelque chose de tout à fait différent, une nouvelle rythmique, une nouvelle tonalité, un autre thème, des arrangements différents, un morceau différent en somme… Ce qui est peu commun dans cet album a priori folk, c’est aussi la manière que certains morceaux ont d’évoluer dans une direction surprenante, comme c’est ici le cas. Un nouveau break  vient ensuite marquer le début d’une nouvelle chanson dans la chanson. Rien ne suit vraiment, sinon les paroles. On a l’impression d’un rêve étrange, impression accentuée par les bruits d’harmonium en fond et par les voix toujours lointaines. L’incohérence est poussée à l’extrême dans la conclusion de ce titre avec des sons de cuivres écorchés, des arrangements de cordes doux et mélancoliques et une rythmique étrangement saccadée… Voilà qui clôt l’étonnant voyage qui nous aura fait traverser beaucoup de styles et d’horizons musicaux différents en un seul morceau.

Le "Blue Spotted Tail" qui suit doit sûrement être la récompense obtenue à la fin de ce long voyage puisqu’on arrive effectivement au bout de Helplessness Blues. La récompense en vaut la peine puisque ce morceau est, selon moi, le plus beau de l’album. Pour la première fois, on a une guitare-voix tout au long de la chanson et les deux ne nous paraissent plus aussi lointains. Au contraire, ils semblent aussi proches qu’un murmure et sont aussi doux qu’une brise d’été à l’ombre des pins, quelque part dans le sud de la France. C’est assez agréable en somme…

L’album se termine sur "Grown Ocean", morceau à la fois planant et rapide où on retrouve la logique et le son du reste des titres de l’album.

Alors, que conclure de ce brillant Helplessness Blues ? Tout d’abord, que de jeunes groupes sont capables d’une surprenante maturité sur tous les plans (composition, arrangement, performance). Ensuite, qu’il est possible de résister aux majors et de connaître le succès. Enfin, on pourra peut être se sentir mitigé quant aux diverses ressemblances et influences qu’on retrouve ici (Crosby, Stills and Nash, Simon & Garfunkel, les Beach Boys…), mais si elles sont bel et bien présentes, ces influences ne masquent presque jamais la (forte) personnalité de ce groupe et de son album. Helplessness Blues est un très bon disque. Je ne sais pas s’il passera à la postérité, mais il devrait vous faire passer de bons moments. 


J

1 commentaire:

  1. En effet chaque chanson est un régal, une musique agréable et et pure. Merci pour cette découverte monsieur J!

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