lundi 9 mai 2011

Pink Floyd - Wish You Were Here ou "Comment rendre un poisson paranoïaque"


Quand on s’attaque à la critique d’un album d’un groupe comme Pink Floyd, il faut être bien sûr d’avoir cerné tout l’enjeu et les subtilités que cela représente. On a à faire ici à l’un des groupes les plus mythiques de tous les temps mais paradoxalement l’un des plus méconnus… Il faut bien comprendre par exemple que sans eux, ni la musique ni la drogue ne seraient vraiment ce qu’ils sont aujourd’hui. La musique de Pink Floyd, leurs paroles et leur comportement ont influencé un nombre incalculable de gens à bien des égards. J’ai pour ma part découvert leur musique à travers cet album Wish you were here au cours d’une longue nuit d’été, sur l’une de ces longues routes du sud de la France, dans la voiture d’un ami cher, le genre d’ami capable de vous montrer des choses qui vont vous influencer pour le reste de votre vie. Il avait lui-même découvert le groupe au cours de son enfance par l’intermédiaire de son père, un fervent admirateur du groupe qui regardait un de leur concert assez régulièrement. Pink Floyd, c’est donc plus qu’un groupe. Il s’agit d’un héritage qui se transmet d’être cher à être cher. On ne montre pas impunément une musique si singulière à une personne qui ne risque pas d’être influencée et changée par elle comme vous avez pu l’être. Cette musique est une expérience hors du commun, il faut être prêt à l’accepter pour la comprendre.

Le contexte, ici, est étrange. C’est après avoir conquis le monde avec leur célébrissime Dark Side of the Moon que le quatuor anglais remet le couvert entre deux tournées dans les mythiques studios d’Abbey Road à Londres. Il faut comprendre qu’à cette époque, le succès du groupe est à son paroxysme et ses membres ont tout expérimenté au cours des dernières tournées de 1973 et 1974. Ils sont à la fois adulés par la critique et par le public (eh oui, les gens comprenaient encore quelque chose à l’époque…ou ils se droguaient plus). Ils sont riches, ils sont connus et reconnus, ils ont à peu près tout ce qu’ils désirent. A ce moment-là  par ailleurs, le groupe est composé d’individualités fortes et différentes et chacune semble s’enfermer un peu plus chaque jour dans  sa bulle médicamenteuse ou chimique, de différente forme ou puissance. Syd Barrett, le fondateur du groupe, avait d'ailleurs longtemps montré la voie en matière d’expérimentation musicale et autres, finit par se faire évincer ou par s’évincer tout seul parce qu’il commençait à ne plus pouvoir faire taire les voix de la schizophrénie qui résonnaient dans sa tête, provoquées par les marées d’acide dans lesquelles il se noyait. 


Le contexte dans lequel l’album est composé n’est pas à la joie et à la fête donc, loin s’en faut. Les membres du groupe ne semblent plus trouver aucun plaisir entre eux, le mariage du batteur bat de l’aile et pour couronner le tout, Barrett rendra une visite surprise aux membres de son ancien groupe qui ne le reconnaitront même pas tant celui-ci a changé. Toutefois, preuve qu’on a affaire au groupe le plus intelligent de l’histoire de la musique moderne, le travail résultant de cette atmosphère est à ce jour l’un de leur meilleur, sinon le meilleur. L’œuvre s’élabore au cours de leurs tournées, notamment avec un morceau qui prend forme petit à petit et qui en arrivera finalement à durer plus de 20 minutes. Il s’agit de "Shine on you Crazy Diamond", morceau que le groupe  aura toutes les difficultés du monde à enregistrer et qu’il décidera finalement de couper en deux parties (choix voté à trois voix contre une, celle de Gilmour). Ils intercaleront ensuite trois compositions au milieu afin d’alléger l’album d’une certaine manière puisque rien n’est vraiment léger dans l’œuvre des quatre anglais.  C’est donc avec "Shine on you Crazy Diamond" que s’ouvre Wish You Were Here.


Lentement, la musique monte et les orgues, métalliques et graves comme l’enfer, se font entendre. On reste sur un même accord tandis que le synthé mène tranquillement la danse. La tension commence à monter, doucement. On attend que le second accord daigne enfin faire son apparition mais c’est la guitare, claquante, qui annonce l’ouverture de la cérémonie. Tout est parfait, propre. Les cordes tremblent légèrement mais sûrement dans les aigus avant que tout ne se calme et redescende pour faire place, après un silence qui semble durer une éternité, aux quatre notes de guitare les plus inquiétantes de l’histoire de la musique moderne. Là, tout s’accélère. Les  tomes de la batterie retentissent et montent rapidement en puissance pour enfin exploser. Le morceau est lancé. Les notes continuent de résonner mais se font moins inquiétantes maintenant que l’ensemble est parti. Les solos de guitare et de synthé terminent cette introduction majestueuse et grandiose de plus de sept minutes. On assiste ici à quelque chose de révolutionnaire pour l’époque en ce qui concerne les sons des instruments, de l’enregistrement mais aussi du côté de la composition. Difficile de faire plus progressif que ça mais pourtant, le tout reste léger et facile d’accès. La chanson débute tranquillement avec ses explosions de voix magnifiquement harmonisées. La rythmique impeccable et immuable est soutenue par une basse créant le lien parfait entre des harmonies complexes et un rythme plutôt basique mais efficace. L’ensemble est emmené et nuancé par les synthétiseurs. Enfin, la guitare, en maître d’orchestre, mène le tout en se combinant avec la voix. Cela débouche sur un solo de saxophone baryton qui vous prend aux trippes et amorce une nouvelle montée, accentuée par ces arpèges de guitares lugubres et claquants, concrétisée par le solo de sax alto et par un changement de rythme. Une explosion calme mais puissante. On est guidé, hanté par le tout qui s’efface peu à peu… Sans s’en rendre compte, on a passé comme ça près de quinze minutes à écouter ce qui ressemble à un mélange parfait de jazz et de rock progressif en ce qui concerne les solos et la structure.


Le calme est rapidement perturbé par des sons étranges et effrayants. On ne sait pas bien où l’on est avant l’entrée de la guitare et des voix. Les synthétiseurs mènent le tout avec des sons qu’on retrouvera bien des années plus tard, dans les ténèbres musicales des années 80. Je vous rassure, ces sons n’ont rien d’un quelconque tube de Rika Zaraï ou de Billy Idol, contrairement à ce à quoi nous aurons le droit plus tard, ils sont chez Pink Floyd magnifiquement utilisés… Ce "Welcome to the Machine" est inquiétant à souhait et on s’aperçoit rapidement que la douce ballade d’auparavant n’a fait que contribuer à amorcer la descente dans les limbes et des ténèbres  de ce titre. On est donc bel est bien dans l’esprit Pink Floyd, pessimiste et gris comme le sont la réalité et la folie humaine… La chanson finit comme elle avait commencé, par des bruits étranges qui nous plongent dans une foule bruyante et joyeuse qui se calme petit à petit pour laisser place à un riff de guitare bluesy et une rythmique funky. Là encore, les synthétiseurs assombrissent considérablement le tout et le rende le lugubre à souhait. Ce "Have a Cigar" reste typiquement dans l’esprit et le son Pink Floyd. Il s’achève sur un solo rageur de Gilmour et une fois de plus, sur une série de bruits étranges : on a l’impression qu’on est en train d’écouter quelqu’un écouter la chanson, une impression qui persiste tout au long de l’album, l’impression d’une musique emboitée dans quelque chose d’autre…de quoi rendre schyzo  le plus vide des animateurs télé (oui je sais, il y a un pléonasme)…


On entend ensuite au loin, l’introduction de "Wish You Were Here" qui commence réellement avec un solo de guitare acoustique, simple et beau, qui nous ramène au son de l’album. La ballade débute tranquillement, la slide guitare et le piano rendraient presque l’ensemble country. La ballade est bien menée et nuancée, parsemée de ci de là de quelques solos de guitare acoustique bien placés.  On a beaucoup interprété la signification des paroles de cette chanson, prétendument écrite en hommage à Syd Barret, le fondateur du groupe qui s’est ensuite fait limogé, et je ne m’y attarderai pas.

L’album se conclut de la même manière qu’il avait commencé, avec la suite et fin de "Shine on You Crazy Diamond". La seconde partie démarre d’une manière bien plus inquiétante, ce qui confirme la volonté du groupe de nous perturber. Nous qui venions juste de terminer une ballade tranquille, nous voilà repartis dans quelque chose qui nous attire dans une brume épaisse. On est tiré tout d’abord par les synthés puis par la guitare. Les deux instruments se mêlent étrangement et on est constamment poussé vers l’avant par cette basse presque agressive. Le tout retombe ensuite rapidement, on revient dans les sonorités et les arrangements de la première partie et la chanson redémarre là où on l’avait laissée. Celle-ci laisse place à ces mêmes arpèges lugubres qui débouchent cette fois-ci sur une partie groovie menée par les claviers rhodes et la basse, parsemée de sons aigus étranges…  L’ensemble baisse petit à petit et on arrive à la partie finale. On retrouve ici les sons du début au synthé, des accords plaqués au piano et une basse aquatique qui soutiennent le solo calme, immuable. On a le sentiment que tout se déroule sans accroc, conformément au plan, froid et efficace. L’album se ferme sur un accord majeur (le premier ?) pour un soupçon d’enthousiasme presque ironique.

Voilà donc qui clôt un voyage fort, imagé, passé presque trop rapidement et qu’on aura vite fait de recommencer. A l’écoute de ce chef d’œuvre, on a l’impression d’écouter de la musique pop-rock tout en lisant un classique de la littérature française (ou autre, y a pas que nous qui avons fait des livres…). Je passerai rapidement sur la révolution technologique et théorique que l’opus représente dans la musique moderne. Cet album est bien plus qu’un simple disque, c’est une épopée qu’il n’appartient qu’à vous de vivre. 

J

4 commentaires:

  1. Cet article est une pure merveille, à la hauteur de cet album gigantesque.
    Merci J pour votre éclairage, il est commun d'avoir des frissons lors de l'écoute d'un album des Pink, mais plutôt rare d'en avoir lors de la lecture d'une conclusion d'un article exceptionnel.

    V

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  2. Très bel hommage au groupe qui a marqué mon adolescence et plus ...
    Ta culture musicale est impressionnante.

    Le père dont il est question dans cet article.

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  3. Merci à tous! Heureux que ça vous plaise!

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