lundi 8 août 2011

José González - In Our Nature ou "Comment un biochimiste laisse libre cours à l'artiste qui sommeille en lui"


Vous l’aurez sans doute compris, réalisé, vu (raillez la mention inutile), dans notre univers musical actuel, deux grandes catégories se distinguent : la musique dite « électrique » et la musique « acoustique ». Ce que je reproche parfois à la première catégorie, c’est que, bien souvent, les musiciens et artistes moins talentueux ou plus fainéants tentent vainement de cacher leurs lacunes sous un amas de sons en tous genres et sous une technologie traître. En effet, ceux qui pensent pouvoir dissimuler leur manque criant de talent sous une saturation démesurée ou des effets disco se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Je fais plus particulièrement référence à ces pseudos rock stars en short qui pensent jouer fort alors que si on écoute bien, tout ce qu’on entend dans leurs guitares saturées, leurs cymbales résonnantes et leur voix de merlu frit, tout ce qu’on entend disais-je donc, c’est du vent. Un souffle continu qui semble vouloir repousser la musique le plus  loin possible afin qu’elle disparaisse définitivement de notre horizon auditif. Mais je vous vois venir jeunes accros de l'électrique ! Il serait bien réducteur de s’arrêter là quand des génies de la musique moderne ont révolutionné leur monde à l’aide de ces mêmes effets : Hendrix bien sûr mais aussi les Floyd, Led Zep ou encore Police sont des exemples parfaits d’une musique pure que les volts n’ont rendue que meilleure. Plus récemment, on pourra citer des groupes merveilleux qui explorent les capacités de leurs petits appareils. On pourra par exemple penser à Ex’Odd et à leur guitariste plus efficace qu’un Gilmour sobre, à leur bassiste aux effets d’outre tombe ou encore à leur violoniste, véritable chimiste musicale ambulante.

Malgré tout cela, je dois bien vous l’avouer, ma préférence penche pour l’acoustique et ce pour plusieurs raisons. La première est que les musiciens acoustiques (j’entends qui jouent sans baser leur jeu sur des effets) n’ont généralement besoin de rien d’autre que de leur instrument. La seconde est qu’une fois qu’ils jouent, ils n’ont pas droit à l’erreur. Ils doivent maîtriser à la perfection leur musique car le premier accroc s’entendrait immédiatement. C’est bien évidemment le cas de l’artiste dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. Né en Suède de parents ayant fuit la dictature argentine dans les années 70, José González enregistre son premier album alors qu’il est en phase de devenir biochimiste. On est loin des clichés de rock stars incapables de compter au-delà du nombre incroyablement élevé qui résulte de la somme de la totalité des doigts qui peuplent leurs deux mains. Son style unique d’acoustique pure et un de ses titres utilisé dans une publicité célèbre font rapidement décoller sa carrière. En 2007 sort In Our Nature, second effort de l’artiste.


Les basses sèches résonnent lentement puis la voix doublée de González entre en scène. Cet effet étrange sur la voix du suédois donne l’impression que le bougre s’adresse au plus profond de notre être sans intermédiaire. La guitare mène la danse seule dans un style mêlant rythmique et sonorités ancestrales de bien belle manière. Cette musique semble venir d’une époque reculée. Les notes et le rythme de "How Low" sont simples et efficaces, épurés mais pourtant, la magie opère tout de suite et nous voilà au beau milieu d’un voyage initiatique, psychédélique au possible. "Down The Line" vient ensuite nous frapper en pleine face. Là encore, le rythme est hypnotique, la même note résonne en vain malgré les changements d’accords. La voix s’élève, sévère comme un jugement dernier. Les doigts claquent impétueusement sur la guitare, les cordes semblent à deux doigts de casser. La force des mots et des notes est une fois encore très étrange. Les ombres volent autour de nous, faisant de nous une proie idéale. La musique monte en puissance et le dénouement de cette chasse semble être sur le point de se réaliser quand tout s’éteint brutalement.

Un rythme et des sonorités fleurant bon la terre rouge et chaude d’Afrique viennent nous prendre dans leurs bras. Les voix envoûtantes nous prennent là où les ombres étaient prêtes à nous dévorer et nous nous laissons guider tendrement, pauvre âmes apeurées que nous sommes. "Killing For Love" nous montre l’aspect moins romantique et plus sanguinaire d’un amour incompréhensible, capable de nous pousser à l’extrême inverse : le meurtre. Vous l’aurez compris, les thèmes abordés par José mélangés à sa musique viscérale n’ont rien de réjouissant et pourtant nous avançons comme hypnotisé vers le charmeur de serpents et ses paroles apocalyptiques. La rythmique bossa de "In Our Nature" vient calmer un peu le jeu et alléger tout ça. Le morceau semble presque vide comparé aux autres avec cette clave résonnant et marquant le temps. González récite son texte presque désabusé. On retrouve un peu de l’atmosphère des plus belles chansons de Dylan dans cet album : l’impression d’être perdu dans un rêve étrange et dévisagé par le narrateur-chanteur.


Un reprise puissante de "Teardrop" des Massive Attack retentit ensuite. José González est sûrement le seul artiste qui assume pleinement cette chanson mythique hormis les anglais à qui on doit ce titre. La guitare puissante rugit toute la colère et la noirceur de ce titre tandis que la voix douce de González vient nous toucher en plein cœur avant l’explosion finale qui nous engloutit littéralement sous les notes, les mots et le son puissant qu’à adopté le suédois. Les cordes sont raclées avec force, pincées violemment avant l’accord final. Vient ensuite "Abram" et ses basses lourdes et sévères. Là encore, la voix vient adoucir la rugosité initiale et le refrain majeur apporte un peu de lumière à cette toile sombre. Ce titre inégal est assez étrange. On entend par exemple l’artiste grommeler juste avant la fin puis on repart sur quelque chose de plus léger avec ce "Time To Send Someone Away". Ce morceau est clairement moins nuancé et puissant que les autres mais permet toutefois de respirer un peu, malgré une rythmique toujours oppressante. Puis après une respiration, "The Nest" démarre. On retrouve la voix doublée de José qui semble nous pointer du doigt dans la foule. Des notes douces semblent couler de la guitare et c’est le chant qui se veut plus agressif cette fois jusqu’au pont où la guitare s’emballe et où un son étrange vient prendre le relai. Les voix se veulent ensuite plus puissantes et nombreuses puis la chanson s’éteint rapidement. On approche maintenant de la fin de l’album et González semble vouloir nous laisser le temps de nous remettre du départ fracassant de ce In Our Nature et pour cause : le final n’en sera que plus fort. En attendant, une ballade lugubre, "Fold", débute. La rythmique immuable se charge rapidement de suivre les fluctuations de la voix profonde du biochimiste devenu philosophe. Les notes sont de plus en plus lourdes puis la guitare quitte les basses et s’aventure dans des aigus apaisants sur lesquels la chanson se meurt lentement.


Puis, une rythmique assez similaire entame le morceau final. C’est la voix basse que González, serein, nous aborde lentement pendant que la guitare répète immuablement les mêmes notes. Pour le refrain, une seconde voix harmonise celle de José. La guitare se répète inlassablement depuis le début mais monte progressivement en puissance. La voix fait de même et se veut de plus en plus forte sans qu’on s’en rende compte. Puis, la routine entamée par la guitare est rompue et un pont suivant le même rythme mais employant des notes différentes débouche sur le début d’une chevauchée infernale. La guitare reprend avec force son thème initial tandis que les voix répètent comme hantées le refrain précédemment entonné. Puis tout semble bloquer sur quelques mots avant de parvenir à franchir l’obstacle invisible et d’exploser dans un mouvement libérateur et se calmer ensuite, comme si, au fond, tout avait été dit dans cet album et que, malgré toute la noirceur étalée sur cette toile admirable, il ne subsistait finalement qu’un jet de lumière magnifique.

Depuis 2007, José González n’a plus donné signe de vie mis à part quelques concerts de ci de là. Pour autant, vu la matière lourde de sens et musicalement régénératrice qu’il fournit, il est difficile de lui en vouloir. Ce genre d’œuvre ne se fait pas dans la hâte mais dans l’introspection lente et rigoureuse d’une âme humaine qui semble loin d’avoir dit son dernier mot. 

J

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