lundi 29 août 2011

Andrew Bird - Noble Beast ou "Comment nous redonner espoir dans la musique moderne"


« Le talent n’existe pas. Seul le travail compte » disait un jour Michel Petrucciani. Et si on se verrait bien pendre ce nabot par les pieds pour ces mots dignes d’un pétainiste avéré tant il est bouffi de talent voire même de génie, force est d’admettre qu’il n’a peut-être pas tout à fait tort. Pour démontrer la véracité de cette affirmation, il suffit d’une simple expérience. Prenez n’importe quel artiste dit « talentueux ». Portez-le à ébullition et épluchez toute forme d’autosatisfaction, de complaisance gluante et d’orgueil mal léché. Si l’artiste est toujours là, alors vous pouvez poursuivre l’expérience. Sinon, c’est qu’il s’agissait d’une coquille vide, d’imposteur en somme. Penchez-vous ensuite sur la vie dudit artiste et sur son parcours initiatique. Vous constaterez alors que derrière ce que vous pensiez être un talent fou se cache un travail considérable.

Poussons l’expérience jusqu’à prendre un exemple concret. Prenez Andrew Bird par exemple. Ça tombe bien que vous en parliez puisque c’est justement à son propos que cette chronique était destinée… Bon, prenez Andrew Bird disais-je donc. A première vue, on pourrait croire que le bonhomme est né comme ça, la bouche en cœur, un violon dans les mains et une voix à la douceur sucrée irrésistible. Toutefois, en étudiant sa bio, vous apprendriez qu’il a commencé le violon à l’âge de 4 ans, qu’il est passé par une éducation classique poussée pour se diriger vers la musique traditionnelle irlandaise puis vers le jazz. Vous verriez ensuite que son premier enregistrement date de 1998, un disque aux couleurs jazz manouche et swing accompagné d’un groupe correct, les Bowl of Fire, qu’il a poursuivi sur deux autres albums avec eux avant de s’élancer seul, comme un grand, vers une musique pop expérimentale. Après un premier album raté, il est revenu avec le grand Weather Systems qui lançait ce style si particulier : une musique pop aux bases simples mais aux arrangements hors du commun. Ensuite, rien ne pouvait plus l’arrêter. Il enchaîne avec le chef d’œuvre Mysterious Production of Eggs puis Armchair Apocrypha dont j’ai déjà fait mention et voilà déjà 10 ans que Bird enregistre, travaille sa musique et tourne sans relâche. En 2009, il débarque avec Noble Beast son travail le plus abouti à ce jour. Il est lui-même devenu une bête étrange, hors norme et incroyablement noble.


Les traditionnelles nappes de violons soutiennent une guitare acoustique impeccable, puis la voix ambrée et pleine de Bird prend le relai. On est tout de suite soufflé par la beauté et la simplicité de tout ça. D’autres voix s’ajoutent à la principale ainsi qu’une rythmique efficace et des sons électriques discrets. L’ensemble s’assemble et trouve un équilibre parfait. Le ton est donné. "Oh No" nous annonce que notre ami est retourné aux sources acoustiques desquelles il avait puisé le mythique Mysterious Production Of Eggs. Une atmosphère boisée, épaisse et lumineuse est posée d’entrée de jeu et "Masterswarm" va se charger de nous plonger encore plus profondément dans la forêt étrange que nous avons abordée plus tôt. Nous étions à l’orée, nous voilà perdus au cœur du bois. La guitare répète un accord inquiétant tandis qu’une voix haut perché nous aborde, nous envoute et nous aspire plus profondément. La mélodie mélancolique nous aveugle intentionnellement jusqu’au saut dans le vide. Trois notes et c’est parti. Les arpèges de violon claquent  dans l’air, les mains s’entrechoquent et marquent un tempo fou, puis le violon et la voix nous rattrapent par la main alors que la chute allait être fatale et nous voilà partis, flottant dans les airs avec le maître des lieux. Le sol s’éloigne de nos pieds et l’air est de plus en plus frais et c’est les poumons légers que nous suivons, confiants, cette noble bête qu’est notre hôte. Nous atterrissons enfin en douceur dans ce qui semble être une grotte. Rapidement, des notes électriques tombent telles des gouttes d’eau ruisselant sur les parois sombres de la cavité, puis la voix lance la rythmique lointaine et puissante de Martin Dosh et tout va très vite. Nous courons désormais difficilement derrière notre hôte, qui semble amusé, nous attend pour mieux repartir. "Fitz & Dizzyspells" se joue de nous à chaque instant et il est difficile de résister à l’euphorie qui s’empare de nous et nous commande de jouer avec lui. Une légèreté magnifique s’est emparée de nous depuis le début et ça fait un bien fou !


"Effigy" vient calmer un peu le tout malgré une introduction vive et électrique. Il est temps de se poser un peu et de respirer. Alors que Bird nous as présenté son royaume sylvestre avec joie lors des titres précédents, il est temps qu’il nous en compte l’histoire. Il est difficile de résister à ce timbre de voix grave, puissant et lumineux. La guitare semble nous éclabousser de chaleur et d’or avant que le violon n’entre et ne propulse ce titre au rang de classique folk irlandais. Absolument tout ici est simple mais effectué d’une main de maître qui confère à l’ensemble une dimension qu’aucun autre artiste actuel n’est capable d’atteindre. Notre noble hôte termine enfin sa chanson avec désinvolture et nous voilà repartis à toute allure. Des notes sèches et vives à la guitare nous laissent présager que ce "Tenuousness" ne nous laissera pas là où nous sommes. Des notes de violons résonnent ensuite, puis le tout part doucement. Nous voilà dans une prairie bercée d’une lumière tombante des plus belles. L’herbe y est abondante et haute. Rapidement, Bird nous prend à nouveau par la main et nous entraîne inlassablement au cœur des herbes hautes. Le morceau monte progressivement en puissance avant de lancer un Nomenclature étrange. Nous sommes désormais au plus profond de la forêt et tout ici est étrangement familier tout en étant totalement nouveau. Un refrain claquant vient nous réveiller et nous laisse obnubilés et envoûtés par la bête et celle-ci nous le rend bien. Soudainement, nous voilà repartis dans les airs à toute allure. Le vent nous frappe en pleine face, la fraîcheur semble secouer notre âme dans sa totalité et la réveiller d’une torpeur assassine dans laquelle elle était engluée. Ouo marque ensuite un tournant important. Après nous avoir émerveillés, il semblerait que Bird ait décidé de nous ouvrir les yeux, alors que nous étions en pleine jouissance intellectuelle. Le rêve laisse place un instant à la réalité, la rythmique robotique de Dosh nous glace le sang et nous voilà parmi les machines et les êtres humains. "Not A Robot, But A Ghost" n’a plus rien d’idyllique et sa beauté n’en est que plus forte. La voix de Bird est malgré tout toujours là pour nous protéger et nous préserver sous son aile. La douleur que sa voix transporte est profonde et nous atteint immédiatement. Mais cette douleur n’est pas mortelle et un combat contre le temps est engagé et notre hôte ne reculera pas. Un dernier constat sur les ruines et la désolation engendrée par cette lutte, puis la noble bête nous reprend la main et laisse derrière nous cet endroit macabre. Rien ne sera plus pareil toutefois. "Unfolding Fans" en est la preuve. Le constat précédent a considérablement assombri la mine joviale à la quelle Bird nous avait habitué durant la première partie de cet album.


Puis des violons geignent et des arpèges tombent avec fracas tels des sentences, et ouvrent cet "Anonimal" viscéral. Des notes électriques envahissent l’atmosphère soutenue par une guitare acoustique bienveillante et notre hôte poursuit son histoire. Une émotion profonde et magnifique monte progressivement en nous. Il semble maintenant nous raconter son histoire à lui, ce qui l’a amené à être le garant de ce monde, à devenir cette bête noble, non animale. Après un court interlude, Dosh, son acolyte, reprend la main et lance réellement le morceau et là, nous voilà frappés par le poids de la révélation et de la beauté de la situation. Mais cette fois, les choses ont changé. Andrew ne compte pas nous laisser dans les profondeurs gluantes de l’âme humaine. Il nous tend une main amicale et nous remonte à la surface en douceur avec ce "Natural Disaster". Les deux voix de Bird se mêlent en douceur et nous transportent tranquillement vers la sortie du bois mystique et métaphorique dans lequel nous sommes depuis le départ. "The Privateers" nous entraîne lui aussi vers la sortie. Nous passons en vitesse devant des parties de forêt qui n’ont pas été explorées, des parties innombrables et magnifiques mais le rythme vif de Bird nous fait comprendre que ça sera pour une autre fois. Enfin, des violons vibrent, des rais de lumières transpercent la brume et les feuilles, et nous voilà sortis du bois. Une lumière nouvelle éclaire ce jour nouveau et Bird nous transmet ses dernières recommandations avant de nous laisser aller. "Souverian" et ses mots nous apaisent l’esprit une dernière fois et caressent notre âme avant de la pousser doucement puis surement à prendre son envol. Après un sursaut, nous voilà dans les airs, côte à côte avec la bête. Ce n’est plus elle qui nous tient, nous volons bel et bien seuls cette fois, notre initiation touche à sa fin. Un dernier regard sur la forêt et son maître et nous voilà partis, retournés à la civilisation, le cœur plus léger, conscient de ce qu’il reste à accomplir.

Il sera ensuite difficile de résister à la tentation de réécouter ce Noble Beast encore et encore. Andrew Bird y est ici à l’apogée de son style et son travail est d’une finesse remarquable. Le mélange des différents sons de violon et des guitares acoustiques et chaudes s’effectue à merveille et pour couronner le tout, la voix de Bird semble inébranlable. Pour tous ceux qui pensent que notre époque n’a plus rien à offrir à la musique, Andrew Bird nous donne la preuve que tout cela ne fait que commencer…

J

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